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Hit Me Hard and Soft, de Billie Eilish | Audacieuse incursion au cœur des émotions
Billie Eilish est en constante réflexion. Sur ce qu’elle est, ce qu’elle représente, ce que le monde exige d’elle et ce qu’elle est désormais prête à donner à ceux qui l’observent comme à ceux et celles qu’elle aime. Exprimant ses états d’âme sur des productions complexes et osées, à l’aide de textes limpides et téméraires, l’artiste de 22 ans fait la preuve sur Hit Me Onerous and Delicate qu’elle est l’une de celles dont la pop a le plus besoin.
« I may eat that lady for lunch », chante-t-elle pour amorcer Lunch, seconde pièce de Hit Me Onerous and Delicate, sur laquelle elle vénère une fille qu’elle désire ardemment, sur une franche rythmique pop marquée par le drumpad. C’est résolument queer et enjoyable. C’est le plus gros banger de l’album. On rencontre une Billie Eilish que l’on ne connaissait pas encore et que l’on proceed de découvrir pendant 10 chansons, pour 45 minutes d’écoute. Si elle n’avait jamais vraiment puisé dans la sexualité pour ses textes (elle a commencé si jeune, 16 ans à peine, et a souvent dénoncé l’hypersexualisation de son corps), elle se réapproprie le thème sans ambages. Elle racontait d’ailleurs dans une uncommon entrevue, auprès du Rolling Stone, que cette chanson l’a aidée à mieux comprendre son identité queer.
Et alors que la magnifique chanson d’ouverture Skinny, très aérienne et délicate, débutait sur une mélodie de guitare pour faire place à une conclusion vertigineuse conduite par un ensemble de cordes, les dernières secondes de Lunch mènent plutôt à une métamorphose vers des accents technos et dansants. Chihiro (depuis son premier album, Eilish dit être inspirée par le movie Le voyage de Chihiro, de Hayao Miyazaki), plutôt lo-fi, vient ensuite nous ravir totalement grâce à son chorus envoûtant. À mi-chemin, les synthétiseurs s’embarquent dans une envolée passagère à donner des frissons.
Mais rien ne surprend (et ne plaît) plus que l’audacieuse volte-face sur la pièce L’amour de ma vie (Eilish ne chante pas en français, mais prononce les mots une fois) : elle débute sur un groove entraînant aux douces voix empilées et qui tout à coup devient hyper pop et dansante, emprunte les synthétiseurs des années 1980 et travaille la voix avec un vocodeur pour la rendre la plus synthétique doable. Bref, Billie Eilish va dans tous les sens.
Fantastique Finneas
À mi-chemin dans notre première écoute de Hit Me Onerous and Delicate, une réflexion claire nous est venue : Billie Eilish et son frère Finneas (coauteur et réalisateur de l’album) font ce qu’ils veulent, et ils le font si bien qu’on est à la fois surpris et subjugués. S’ils estiment qu’une chanson mérite de changer complètement d’humeur à mi-chemin, ils se le permettront. S’ils souhaitent que la easy guitare acoustique et la voix vaporeuse de la splendide The Best (dont la montée dramatique est une des plus belles choses sur cet album) précèdent les airs pop inspirés d’une ritournelle parisienne (une tonalité d’accordéon en prime), ils le feront. Tout est permis quand on a autant de expertise. Automobile toutes les avenues dans lesquelles le duo de créateurs s’est engagé ont mené à l’excellence. Un level commun se dégage toutefois : si son troisième album ne manque pas de ce caractère lugubre qu’elle affectionne, Billie Eilish suggest une œuvre bien plus lumineuse que ses précédentes.
De nouveau, Finneas réalise un travail d’orfèvre à la composition et à la réalisation. Ses productions sont si élaborées qu’il nous a dans certains cas fallu de multiples écoutes pour saisir les subtiles couches de mouvements qu’il a insufflées ici ou la method de boucle qu’il a utilisée là pour générer de la rigidity.
Wildflower, sur laquelle Billie Eilish dit « I see her behind my thoughts on a regular basis/Like a Fever/Like I’m burning alive/Like a Signal », est une autre ardente déclaration d’amour et de désir. Les devices (simples guitares et batteries) se font plus rock sur cette émouvante ballade, un autre changement de cap qui s’inscrit parfaitement dans l’ensemble malgré son unicité.
Une voix comme nulle autre
Quelle que soit la façon dont Billie Eilish décide de présenter sa voix, elle le fait avec une adresse chaque fois renversante. Elle maîtrise tant l’extrême aigu que le grave, elle peut rendre sa voix aérienne comme elle peut la rendre tranchante. Fidèles à l’esthétique qu’on leur connaît, Eilish et Finneas ont plongé le chant de la première dans une brume épaisse et ravissante, plusieurs productions donnant l’impression de flotter dans le brouillard. Mais à plusieurs reprises, il a plutôt été décidé de garder un espace limpide dans lequel les mots chantés par Billie Eilish sont plus intelligibles que jamais (Birds of a Feather en est un bon exemple). Plus encore, elle déploie son instrument comme rarement auparavant, se permet des prouesses qui n’ont rien à voir avec la justesse éthérée qui fait sa marque, mais qui proposent plutôt une interprétation mature, à gorge ouverte et tout en drive, sans jamais manquer de délicatesse. C’est un autre exploit vocal de la half de Billie Eilish, d’un bout à l’autre de ce nouvel album.
Extrait de L’amour de ma vie
Billie Eilish s’en est tenue à dix chansons et on l’en remercie. Chaque pièce à sa place. Rien ne déborde. Elle se permet des folies (L’amour de ma vie, Blue, The Best, Bittersuite – pensez avalanche de synthétiseurs, puis pulsations hip-hop, puis bossa nova, dans une même chanson), mais ne complexifie pas ce qui peut rester easy et agréable (la presque R & B Chihiro, la très pop Birds of a Feather).
Hit Me Onerous and Delicate est une écoute prodigieusement stimulante. Une écoute qui nous révèle, en plus des confessions personnelles plus franches que jamais de l’artiste, que la musique de Billie Eilish (et de Finneas, ne l’oublions pas) est de plus en plus avant-gardiste, sans limites et, tout simplement… épatante.
La tournée mondiale Hit Me Onerous and Delicate de Billie Eilish sera lancée le 29 septembre prochain au Centre Vidéotron de Québec.
Pop
Hit Me Onerous And Delicate
Billie Eilish
Darkroom / Interscope
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